"Papa dort encore, il faut vous habiller pour aller à l'école."
"Mais, on mange pas d'abord?"
Ah oui. Le petit déjeuner. Je sors les bols, verse le lait et la chocolat en poudre et enfourne le tout dans le micro-ondes. Ca, je sais faire. Les pains au lait, le beurre. On est bon.
"Et papa il se réveille quand? Il ne nous amène pas à l'école?"
"Il est rentré tard du travail hier, il est crevé. Arthur, je te dépose à la maternelle et Lise et moi on va après à l'école. C'est pas compliqué. Arrete de discuter, mange. "
Ben non, ça doit pas être compliqué. J'ai l'habitude de l'aider papa depuis que maman est partie on ne sait où... Je suis comme une petite maman maintenant. Surtout pour Arthur, il pleure presque tous les soirs mais quand je lui lit Petit Ours Brun, ça va mieux et il dort. Elise, elle, elle dit jamais rien, elle fait jamais de caprice, c'est comme une gentille poupée mais en vrai.
"Y'a plus de lait!"
"Va voir dans le placard."
"J'ai déjà vu, y'a plus"
"Je le dirai à papa."
Ou alors j'irai en acheter à l'épicerie avec l'argent du pot à courses. Ou je demanderai à Michelle, la voisine. Je ne sais pas trop. On verra après l'école.
L'école, c'est chouette, ça je sais faire. La maîtresse est presque toujours gentille, des fois elle se fâche mais c'est comme un dragon qui crache pas de feu. Ca fait peur seulement à Jenny la chouineuse. En plus, ce matin, y'a dessin. C'est ce que je préfère.
"Vous avez rien oublié?"
"Nooooooooonnnnnnnnnnnn!"
Faut que je pense à quoi? Les clés de la maison, dans la poche de mon cartable comme d'habitude et ah oui! j'avais dit je prends un peu d'argent.
...
Jusque là, tout va bien. Arthur et Lise sont dans leur classe, je les récupererai tout à l'heure.
"Vous sortez vos ardoises, nous allons faire du calcul."
"Sophie! Sophie!! Ben alors tu rêves?? Sors ton ardoise."
"Ah pardon madame."
"Tu viendras me voir à la récré."
"Euh... oui."
...
"Il y a quelquechose qui ne va pas? Depuis 8h30, tu es complètemen absente, ça ne te ressemble pas. Tu as même fait des erreurs en calcul..."
'Non c'est rien madame, j'ai pas très bien dormi. Je peux aller jouer?"
"Oui bien sûr. Vas-y."
Je l'ai même pas regardée dans les yeux, je suis vite partie dans la cour. Je crois qu'elle a rien deviné. Heureusement qu'elle est pas magicienne la maîtresse!
...
Ouf, la journée est terminée. J'avais l'impression que ça avait duré trop longtemps.
"Viens Lise, on va chercher Arthur."
"C'est toi qui prends ton frère? Il est où ton papa?"
"Il a pas fini le travail, il a dit qu'il arriverait plus tard à la maison."
"Tu es sûre?"
"Ben oui."
"Bon allez-y..."
...
Les courses... j'ai pas oublié... y'a de la pizza, ça c'est facile à faire. papa il nous fait ça quand il a la flemme de faire à manger et après il fait comme si c'était un repas de fête. Moi j'aime bien quand il fait son feignant. La pizza on peut la manger avec les doigts et Arthur après, il ressemble à un clown avec la sauce tomate. Ca nous fait toujours rire.
On va rentrer et prendre le goûter d'abord. Et après, les devoirs. Faut que j'aprenne ma poésie.
"T'as des devoirs Lise?"
"Pas pour demain mais faut que papa signe mon cahier, y'a un mot pour la sortie au cinéma."
"Il signera quand il rentrera."
...
Ah mince, ça sonne.
"Chut!! On fait une blague, on fait comme si on n'était pas là..."
J'entends Arthur qui glousse en se cachant sous la table.
"Les enfants, ouvrez-moi, c'est Michelle. Je vous ai vu rentrer, je voulais savoir si tout allait bien."
Je crois que je suis obligée d'ouvrir...
"Bonjour Michelle. Tout va bien merci." Et j'essayais de refermer la porte. Mais Michelle a poussé la porte.
"La directrice de l'école a dit que votre papa était au travail mais il y a sa voiture dehors. Il est rentré?"
"Euh.. oui... ça y est..."
"Je peux lui dire un mot?"
"Papa y dort depuis ce matin."
"Mais tais-toi Arthur!"
"Ben quoi? c'est vrai. Il dort beaucoup."
"NON NON ! Michelle faut pas l'embêter, il va être fâcher papa!!"
Je ne voulais pas qu'elle rentre dans la chambre de papa mais elle écoutait rien!
Elle est entrée et s'est retournée vers moi:
"Viens, il faut que je te dise quelquechose..."
Mais moi je savais déjà. C'est moi qui l'ai découvert ce matin.
Papa est mort.
J'ai écrit ce texte en entendant à la radio un fait divers où des enfants avaient tu la mort de leur père de peur d'être séparés. Comment, en sont-ils venus à cette décision? Quel genre de force faut-il pour continuer à avancer malgré (à cause?) un drame?