J'habite au 4ème étage. De mon balcon, je les aime les gens. Je les apprivoise en les regardant vivre. Je finis par les connaître d'une certaine façon.
Dans mon immeuble, c'est pareil, je les connais presque tous, c'est ma famille de substitution mais une famille pas envahissante (enfin pas trop... enfin, pas tous...) qui voudrait sans cesse que tu viennes partager le poulet rôti le dimanche.
Au premier, c'est la gardienne et sa famille, son mari et son fils. Elle a aussi une grande fille qui vient la voir souvent avec sa petite-fille. Elle a bien grandi maintenant, elle doit avoir 5 ans environ, elle sait faire de la trottinette mais je ne vois jamais le papa. Comme la mère a encore son alliance, je suppose qu'il ne doit pas s'entendre avec sa belle-famille ou alors il profite de l'absence dominicale de sa famille pour aller jouer au foot avec ses amis.
En face, c'est une jeune femme d'une trentaine d'année. Elle, elle n'avait pas l'air de s'ennuyer avant.Je ne la voyais jamais avec le même homme mais elle a fini par se caser. Ça m'embête un peu moi, je dis pas que je ne suis pas contente pour elle mais je m'ennuie un peu plus maintenant. Peut-être qu'un jour, ils auront des enfants et un chien et qu'ils partiront comme ceux du 2ème qui ont acheté un pavillon en Seine-et-Marne. Je me demande qui il va y avoir dans cet appartement. Pour l'instant, il y a des ouvriers, ils doivent refaire tout à neuf pour le louer. En journée, ça fait un beau concert de perceuses et marteaux.
Eux, ils me manquent pas trop, la femme, elle épiait tout le monde et se mêlait de tout. Oui, moi aussi je sais tout ce qui se passe dans l'immeuble mais je ferme ma bouche. Je garde tout ce que je sais pour moi sinon ça pourrait être une belle pagaille...
Par exemple, j'ai jamais dit à personne que la jeune du 5ème avait fricoté avec le cinquantenaire marié du 6ème. Je crois que sa femme ne l'a jamais su, elle continue à saluer poliment sa voisine du dessous. Au pire, elle a son petit bichon blanc pour se consoler. Je n'ai jamais compris pourquoi les gens parlait à leur chien comme s'il comprenait?! Quant à la jeunette, elle a dû se lasser du vieux beau, ou de l'amour en général car ça fait un bail qu'elle n'a pas amené quelqu'un chez elle... Enfin, si j'étais le jeune couple qui vient de s'installer en face au 5ème, je me méfierais un peu...
En face de chez moi, il y a famille nombreuse. La vieille du 3ème, elle les trouve trop bruyants et qu'on a pas idée d'avoir autant d'enfants (bref, elle les trouve pas assez français, vous voyez le genre). Elle a déjà appelé la police plusieurs fois, comme si ils avaient que ça à faire... Moi, je les aime bien. Ils sont toujours gentils, aimables, ils m'aident à porter mes courses. Je me dis que c'est bien que l'autre vieille elle ait eu seulement un fils parce que je crois qu'elle n'avait pas d'amour pour plus.Ceci dit, on le voit presque jamais son fils, soit il habite très loin, il est peut-être devenu trader à la bourse de New-York, soit il a pas trop envie de venir par ici. J'ai une préférence pour la seconde option....
Elle, elle doit bien s'entendre avec sa voisine la super râleuse, ma voisine du dessous. Elle, elle a toujours un problème, les pigeons, les bruits de pas, le vide-ordures encore bloqué, ce nouvel ascenseur qui, vu le prix qu'il nous a coûté, pourrait être plus joli... Elle râle pour tout, tout le temps mais je crois que c'est sa manière à elle de communiquer, qu'on s'occupe d'elle. Moi, je l'envoie bouler tout le temps alors elle maintenant elle me cause plus trop sauf quand je l'inonde, bien obligée... Faut dire que la tuyauterie de l'immeuble, c'est quelque chose ! Je crois que c'est grâce à ça que tous les habitants de l'immeuble se connaissent...
C'est comme ça que j'ai connu M. Panchon, le vieux célibataire du 2ème. J'ai tellement bien inondé ma voisine du 3ème que ça a traversé jusque chez lui. La vieille était paniqué mais lui non.Il nous a souri gentillement et nous a invité à prendre le thé pour remplir les constats d'assurance. Depuis (c'était il y 5 ans je crois) je vais goûter chez lui le mardi après-midi. On rigole bien, on parle des gens de l'immeuble et ce qu'il se passe dans la rue. Il a toujours des histoires à me raconter. Il voudrait bien qu'on se voit plus mais j'ai peur de plus rien avoir à lui dire à force... Alors, le mardi, c'est bien. Ma semaine n'est pas trop longue comme ça.
J'ai oublié qui ? Ah oui, Les autres du 6ème. Je les connais pas trop, c'est une famille en ce moment mais ça change souvent. 3 fois en 5 ans, c'est bizarre, il doit y avoir une mauvaise atmosphère dans cet appartement. Des fois je me demande si c'est pas le fantôme de M. Vorcini qui fait fuir les habitants. C'est dommage qu'il soit mort, on s'entendait bien, c'était un vieux ronchon gentil. Quand on devait prendre des décisions pour l'immeuble, il était toujours contre. Est-ce que vous voulez avoir une nouvelle boîtes à lettres ? CONTRE ! On change les horaires de la société de nettoyage ? CONTRE ! Le ravalement de façade ? CONTRE ! Là, il avait raison, ça m'a coûtée un bras et une cuisse cette affaire ! Et quand on lui demandait pourquoi il était contre, il disait "c'est comme ça, c'est tout !". Quand il est mort, on lui a acheté une belle couronne mais pas avec l'argent de l'immeuble, non, il aurait été contre ! Et je lui ai laissé un petit mot: "Je suis contre votre idée de mourir". Sa femme m'a dit qu'au moins ça le ferait rire là où il est. C'est ridicule, on voit rarement des cadavres se marrer dans un cercueil mais elle devait parler du paradis. Si ça peut la consoler...
Et quand ça sera à mon tour de partir, qui partagera leur vie?